Après “Narco” et “Saint Amour”, Sébastien Tellier signe sa troisième bande-originale avec “Marie et les naufragés”. Rencontre avec un artiste hors normes et plein d’humour, nourri à la musique de films.
Il a mis en musique Narco et les rêveries de Guillaume Canet ou la route des vins de Gérard Depardieu et Benoît Poelvoorde dans Saint Amour. Aujourd’hui, c’est dans l’univers de Sébastien Betbeder (2 automnes 3 hivers) que nous retrouvons Sébastien Tellier, qui signe la bande-originale de Marie et les naufragés. Ou l’occasion, pour lui, de réaliser à nouveau l’un de ses rêves.
AlloCiné : Comment vous-êtes vous retrouvé sur ce projet ?
Sébastien Tellier : C’est tout simple, c’est Sébastien Betbeder qui a contacté ma maison de disques. On s’est vu tout de suite après pour discuter, et quand il me racontait l’histoire du film, je ne l’écoutais pas vraiment. Je le regardais surtout et il m’a donné l’air d’être quelqu’un de très doux et très gentil, et ça m’a plu, même si je ne connaissais pas ses films précédents. J’ai pensé qu’on allait faire un beau mariage et je lui ai dit oui sans trop savoir où je mettais les pieds.
J’ai ensuite regardé ce qu’il avait fait avant et ça m’a beaucoup plu car j’ai trouvé que c’était original. On me considère comme un excentrique, et je suis à l’aise avec les choses qui sortent de la norme. C’est là que je me sens bien et m’épanouis. Je me suis donc rendu compte qu’il faisait des choses décalées, et ça me plaisait. J’ai senti qu’il allait y avoir la possibilité de faire quelque chose de beau, de rare, de doux, et c’est ce qui m’a conforté dans ma décision de faire la musique de Marie et les naufragés.
Ses films et votre musique ont aussi en commun le fait d’avoir plusieurs ambiances et de ne pas être linéaires.
Voilà, et ça donne l’occasion de s’amuser. Je trouve, paradoxalement, que pour un musicien comme moi, qui sort des disques et des albums, faire une musique de film est une grande source de liberté. Moi je fais des albums-concepts avec des émotions hyper précises, car je sais très bien ce que je veux dire au public. Là, il y a juste à se laisser emmener, être contemplatif par rapport aux images ou aux sentiments des personnages, et il n’y a pas à se demander si l’on met une boîte à rythmes ou une vraie batterie, comme pour un album.
On ne se demande pas non plus si l’on va paraître ringard ou assez moderne, et si les gens vont aimer ou non. Il s’agit plus de se laisser aller le long d’une rivière, ce qui donne un sentiment de liberté. Sébastien Betbeder ne m’a pas imposé de narration musicale particulière, il m’a laissé faire ce que je voulais. J’ai également ressenti cette liberté dans les précédentes BO que j’ai composées, alors qu’on devrait plus être pris dans le carcan de l’image. C’est pour cela que la musique est variée : on ne s’enferme pas dans un style particulier, et comme j’aime un peu tout, j’ai fait un peu de tout.
Faire une musique de film est une grande source de liberté
Avez-vous composé face aux images du film, ou en suivant des indications du réalisateur ?
C’est plus vis-à-vis du scénario : en le lisant, je peux me dire qu’il serait intéressant de mettre une musique douce dans une scène. Pour celle de sexe dans le film, j’ai eu envie de faire une musique ensoleillée, quelque chose de très vivant et jouissif évidemment. C’est comme cela que je constuis mes différentes compositions : je lis le scénario une fois, je prends quelques notes et fais ma petite cuisine, puis je compose.
Ensuite, je bloque tout jusqu’à avoir les images, et là j’essaye au hasard tout ce que j’ai composé. Je peux très bien essayer la musique de la scène de sexe sur un trou du film, mettre ce qui était prévu pour l’intro sur le générique de fin. J’essaye tout et ça donne un résultat intéressant : pendant que je compose, je rêve du film et j’imagine ses images. Mais on est souvent déçu lorsque l’on confronte le rêve à la réalité, donc c’est en ajoutant un peu de hasard que l’on obtient quelque chose de gourmand et que c’est jouissif.
Il y a 2 scènes vraiment musicales dans le film, le clip et le danse de fin : avez-vous d’abord composé des morceaux qui ont influencé la mise en scène ? Ou vous êtes-vous adapté à ce qui avait été filmé ?
Non, Sébastien Betbeder s’est adapté à mes musiques. Il m’a dit qu’à un moment, les gens devaient danser, que c’était la fête, la fin, et il fallait, comme c’est dit dans le film, une musique à la fois triste et dansante. Donc je me suis amusé à faire un titre triste et dansant, à la maison et avant le tournage. Et ils ont ensuite tourné sur la maquette de ce titre, que j’ai réellement enregistré, avec des vrais instruments, une fois qu’il a été validé et que tout s’était bien passé.
“More crazyness”, la chanson “triste et dansante” du film :
J’ai aussi composé le morceau du clip avant que le film ne soit tourné. J’avais fait un album intitulé “My God is Blue” (2012) sur un chef de secte, et Sébastien avait bien aimé cet album, donc il voulait quelque chose de ce style, qui soit très grandiloquent et fou, avec un esprit secte, ce qui était facile pour moi car ce sont des codes que j’avais l’habitude de maîtriser. C’est comme ça que “La Fille de l’eau” est née, et c’est bien car il y a de l’humour dans ce truc de secte. A l’époque de l’album, ou quand je venais sur scène comme un Messie avec un Pépito bleu, c’était pour rire. Pas pour se tordre de rire, mais il y avait un degré.
Et les images amenaient bien ce dégré, car la scène de “La Fille de l’eau” est une scène où l’on rit justement. Quand on voit ce personnage de chef de secte, ou plutôt de mec qui se prend pour un chef de secte [joué par André Wilms, ndlr], c’est drôle. On est pas dans le dur et la réalité de la secte, à base d’enfer et de manipulation. C’est plus un truc léger, et de rêveur plus que de leader, qui m’a permis de rebondir sur une œuvre que j’avais déjà faite, et de la transposer dans un film.
“La Fille de l’eau” sans les images du clip :
Au départ, Sébastien voulait que je joue le rôle de Cosmo, et il a vraiment fait toute cette partie en pensant à moi. Je n’avais pas envie de le jouer car je suis très mauvais acteur, mais ça me correspondait bien et j’ai bien su maîtriser cette dimension musicale dans le film.
C’est pour ça qu’une réplique du film décrit Cosmo comme un croisement…
… entre “ce chanteur bizarre et Raël”. Je pense que c’est une référence à moi, car je suis considéré comme un chanteur bizarre (rires) Je devais participer mais j’étais mal à l’aise et je ne me sentais pas de le faire. J’ai déjà joué dans quelques films [dont Steak en 2007, ndlr], mais ce n’est pas ce que j’aime. Pour faire du cinéma, il faut se lever très tôt et je n’aime pas ça. Il fait froid, on passe de la caravane d’essayage de vêtements à celle du maquillage, il y a plein de monde et personne ne s’intéresse à vous.
Moi j’aime bien être dans le cocon du studio, avec quelques personnes : il y a le musicien et l’ingénieur du son. La plupart du temps, on n’est que 2, ou plus s’ils font enregistrer des gens. Mais c’est quelque chose de très doux, de très calme, de très cocon que de faire le musique, et je trouve que le cinéma n’est pas un cocon. C’est un truc d’extérieur, même quand on est en studio : c’est dans un hangar avec plein de monde. Et je suis mal à l’aise là-dedans.
Y a-t-il d’autres exemples de réalisateurs qui ont fait référence à un album précédent pour la musique qu’ils voulaient que vous composiez ?
Non, je n’ai pas l’impression. On m’a toujours dit “Fais ce que tu veux”, ça a toujours été la seule indication des réalisateurs avec lesquels j’ai travaillé. Je pense que les gens qui m’ont demandé de faire la musique de leurs films aiment vraiment ma musique et mes albums, peut-être pas tous mais la plupart. Donc ils me laissent une liberté car faire de la musique de film n’est pas mon vrai métier. C’est un amusement d’à-côté, un petit espace de liberté.
Quand je fais un album, j’ai la plupart du temps l’impression de travailler alors que quand il s’agit d’une musique de film, j’ai l’impression d’être en vacances. Je ne pourrais pas travailler avec quelqu’un qui ne me laisse pas faire ce que je veux. Je ne pourrais pas être le chien d’un réalisateur et lui offrir exactement ce qu’il demande. Il faut que ce soit une récréation pour moi.
J’ai besoin de faire des films amusants, hors normes
Avez-vous refusé beaucoup de bandes-originales ?
Non, pas vraiment. Il y en a quand même quelques-unes, mais je ne sais plus lesquelles. Ce qui est sûr c’est que je n’ai jamais regretté après avoir vu les films. Je suis généralement assez ouvert : comme il s’agit d’une récréation et d’un amusement, je ne suis pas fermé. Après il y a des types de films dans lesquels je serais mal à l’aise comme tout ce qui est trop social, car je n’ai aucune emprise sur la réalité et que je ne la connais pas, puisque j’hallucine quand je sors dehors. Je n’ai aucune conscience sociale.
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Je pense que j’aurais aussi du mal à faire un film sur la maladie, car ce serait trop lourd, même si Narco c’était sur une forme de maladie finalement. Mais je n’ai pas envie de parler de trucs graves. Peut-être que je peux le faire dans mes albums, car je suis capable d’y faire des chansons très tristes. Mais j’ai envie d’être dans une ambiance légère, de cour de récréation, donc il ne faut pas que le film veuille aller trop loin dans le sérieux, car là il n’y aura plus personne selon moi. J’ai besoin de faire des films amusants, hors normes. Que ce soit du divertissement.
Y a-t-il un genre ou un réalisateur pour lequel vous aimeriez composer ?
De Palma, de très loin. Ce serait mon rêve de travailler avec lui. Et Paul Verhoeven aussi. De Palma c’est mon héros et j’essaye même, sur le plan personnel, de faire du De Palma mais en musique. J’aimerais d’ailleurs être “le De Palma de la musique”, ça ça me plairait (rires) Ça n’est malheureusement pas ce que je suis. De Palma c’est bien parce qu’il y a du vice, du talent et de l’amusement. Mais il fait aussi référence aux sentiments humains les plus narquois, et ça j’adore.
Et Paul Verhoeven appartient, pour moi, à la même famille : il fait des grands films qu’on regarde facilement, qui sont bourrés de sous-entendus, avec plusieurs degrés. Il y a aussi un côté “too much” que j’aime bien. Je ne suis pas quelqu’un de discret, et je les aime bien car ce sont des réalisateurs “too much”. Ils font un art qui l’est et qui va toujours un peu trop loin. Travailler avec De Palma et Verhoeven, ça serait mon rêve, mais je pense qu’il y a aussi de quoi faire dans le cinéma français. Le problème, c’est qu’on fait très souvent les mêmes films : les comédies se ressemblent, les films sentimentaux se ressemblent, les polars se ressemblent…
“Elle”, le prochain film de Paul Verhoeven :
Elle Bande-annonce VF
On a l’impression de revoir le même film fait de façon différente, alors que j’ai juste envie d’aller me coller à des gens qui font un truc différent. Il y a plein de gens avec qui j’aimerais travailler en France et que je découvre grâce aux courts métrages que je vois à la télé pendant la nuit. Il y a aussi le Français qui avait fait Zulu [Jérôme Salle, ndlr]. J’aimerais bien travailler avec lui par exemple, car j’ai trouvé que Zulu c’était vraiment bien, surtout de la part d’un Français : j’ai trouvé ça assez puissant. Côté Français, j’adore aussi Lelouch et je pourrais composer n’importe quoi pour Depardieu, même la pire des merdes.
Quelle bande-originale vous a particulièrement marqué ?
J’ai spécialement aimé Le Vieux fusil par François de Roubaix. J’adorais ses thèmes quand j’étais petit et je les adore toujours, et c’est grâce à eux que mon père m’a appris à jouer du piano, dans le salon à la maison le dimanche. C’est une musique qui m’a marqué car j’utilise encore les mélodies et les harmonies dans ma musique aujourd’hui. Ça fait vraiment partie de mes bases et c’est comme ça qu’il faut faire de la musique de film. Et il y a un côté intemporel dans cette idée de faire du piano comme ça. C’est inattaquable, c’est pur, c’est classique. C’est certainement la BO qui m’a le plus marqué.
Trois bandes-originales de François de Roubaix (dont “Le Vieux fusil”) :
Est-ce que les bandes-originales vous intéressaient à ce point avant d’en faire vous-même ?
Ah oui. Même quand j’étais encore un adolescent tout fou, dans ma chambre à Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), je rêvais de faire des musiques de films. C’est ça qui me plaisait. Et c’était finalement presque plus facile de signer pour faire un disque et d’être appelé par des gens du cinéma que de s’introduire dans le milieu. Mon premier album est quasiment entièrement instrumental, et il était bercé par Moroder, de Roubaix, Francis Lai, Michel Legrand… Surtout par des compositeurs de musiques de films finalement, dont Morricone aussi.
Il y a chez eux une noblesse qu’il n’y a pas forcément sur un album. Surtout un album de djeun’s, où l’on veut paraître un peu “street” et faire un peu jeune : je trouve que ça a un côté gerbant, alors que la musique de film m’a toujours semblé noble. On peut être un punk, connaître 3 accords et en faire un disque, qui peut être génial. Mais pour la musique de film, il faut bien connaître les accords, les techniques de composition.
Il y a un savoir-faire musical qui est énorme pour faire une musique de film, et j’ai toujours été admiratif de ça. Donc très très influencé par les musiques de films. Comme mon pote ROB, qui fait aussi des musiques de films [Maniac, Tristesse Club…, ndlr], on s’est mis dans le business de la musique, mais en rêvant de musique de film dès le départ.
Quel souvenir gardez-vous de “Narco”, votre première bande-originale ?
J’avais déjà fait une chanson pour le Nonfilm de Quentin Dupieux (2001), dans lequel il n’y a aucune musique à part dans le générique de fin. Du coup c’est avec Narco que j’ai découvert qu’on pouvait composer en étant sûr de l’endroit où il fallait mettre une musique, et se rendre compte qu’un autre morceau convient finalement mieux. C’est avec ce film que j’ai découvert le hasard de la musique de film, et je me souviens que j’étais surexcité car ça allait au-delà de mes espérances. Et c’était un film un peu hors-normes, et il y a des violons, des grands thèmes dans la bande-originale. Je pouvais vraiment me laisser aller. C’était il y a longtemps mais je me souviens que c’était super.
Vous souvenez-vous du premier film que vous avez vu ?
C’est Rox et Rouky, que j’avais été voir au cinéma avec mes parents. C’était formidable et je le montre aujourd’hui à mon fils. C’était impeccable, comme les autres Disney, dans lesquels on retrouve d’ailleurs la même harmonie. Je ne pense pas qu’il y ait une charte réelle et qu’on demande aux compositeurs de passer d’un fa bémol à un si, mais il y a quand même cette famille d’accords et d’harmonies qui revient toujours, et j’adore.
Après, je me souviens avoir vu très jeune I… comme Icare, car ça avait été tourné à Cergy-Pontoise et que j’étais figurant dans le film. Je devais avoir quelque chose comme 6 ans et ils voulaient tourner à Cergy car ça faisait très américain avec les buildings au milieu et la grande banlieue autour. J’étais au centre commercial avec mes parents et on m’avait proposé de participer au film, donc on me voit avec un ballon. Du coup je me souviens avoir été fasciné quand le film est passé à la télé, car j’étais dedans. Je me cherchais mais, comme on avait une toute petite télé à l’époque, je ne m’étais pas vu.
Sébastien Tellier est-il dans la bande-annonce de “I… comme Icare” ?
I… comme Icare Bande-annonce VF
Quel est le dernier film qui vous a marqué ?
Ça n’est pas une sortie récente mais je l’ai vu à la télé : L’Amour extra large des frères Farrelly. J’adore quand un film se présente comme une comédie mais défend une cause, comme le fait que la beauté intérieure soit importante ici. Je trouve que les Américains maîtrisent bien ce genre de sujet, et ça n’est pas quelque chose que l’on pourrait faire en France, car il faut une certaine distance avec le sujet. Il y a une douceur chez les frères Farrelly, comme si la vie était géniale tant ils en font un tableau fantastique, hyper doux. C’est pas un cinéma de l’exceptionnel mais du quotidien, et j’adore ça.
Avez-vous un autre projet de bande-originale ?
J’ai d’autres projets mais je ne peux pas en parler car le film est en train de se faire, et je sais qu’ils cherchent encore des financements. Mais si j’en fais un prochainement ce sera une grosse comédie française bien lourdingue, un peu à la Camping, et ça me plaît bien. Faire la musique d’une comédie, c’est vraiment difficile : il n’y a pas vraiment de place pour la beauté, il faut soutenir les ressorts comiques, et c’est dur. Comme réaliser une comédie est dur, en composer la musique aussi. Mais je suis pressé que ça se fasse, car je suis pressé de me confronter à ça.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 6 avril 2016