Reporters sans frontières dénonce avec la plus grande fermeté la décision rendue par le tribunal municipal de Moscou à l’encontre de l’agence de presse Rosbalt, le 31 octobre 2013. La cour a donné satisfaction à l’autorité fédérale de surveillance des communications, le Roskomnadzor, qui exigeait le retrait de la licence du média (voir ci-dessous).
« Cette grave décision constitue un précédent extrêmement dangereux pour la liberté de l’information en Russie, a déclaré Reporters sans frontières. Nous appelons la justice à annuler ce verdict en appel. Rosbalt est non seulement victime d’une loi répressive qui prévoit des sanctions disproportionnées, mais également d’une procédure judiciaire absurde et inéquitable : l’agence est condamnée pour des contenus dont elle n’est pas l’auteur, sur le fondement d’éléments de preuve irrecevables, et avant même que ses appels contre les avertissements dont elle a fait l’objet aient été examinés. »
La directrice générale de Rosbalt, , a confirmé à Reporters sans frontières que l’agence allait interjeter appel contre cette décision de fermeture : « on ne nous fera pas taire, nous allons nous battre, non seulement pour nous-mêmes mais au nom du bon sens, a-t-elle déclaré. (…) S’il est possible d’agir ainsi avec une agence de presse établie depuis douze ans et qui compte vingt millions de lecteurs mensuels, qu’en est-il des autres ? Et il n’est même pas nécessaire de publier des articles particulièrement critiques pour mériter ce traitement, il suffit de reprendre des contenus publiés par d’autres sur Internet ! (…) Ce qui s’est passé aujourd’hui témoigne du fait que la liberté d’expression est menacée aujourd’hui en Russie. »
——–
Reporters sans frontières est vivement préoccupée par les poursuites judiciaires lancées contre l’une des agences de presse les plus populaires de Russie, Rosbalt. Ce 31 octobre 2013, un tribunal de Moscou commence à examiner la demande de retrait de licence émise à son encontre par l’autorité fédérale de surveillance des communications, le Roskmonadzor. A l’origine de cette plainte potentiellement lourde de conséquences, deux vidéos reprises sur le site Internet de Rosbalt pour illustrer des articles, et qui contiendraient des jurons. Une loi votée en avril 2013 a en effet amendé la loi sur les médias (article 4.1) et le code des infractions administratives (article 13.21) pour interdire l’utilisation du « langage obscène » dans les médias.
« Ordonner la fermeture d’un média dont le seul crime serait d’avoir publié des contenus comportant des jurons, voilà bien une perspective aussi absurde que disproportionnée. Si elle suivait le requête du Roskomnadzor, la cour réduirait au silence un grand média de renommée nationale et créerait un précédent très dangereux pour la liberté de l’information en Russie. Les conséquences de sa décision ne sauraient être sous-estimées. Nous l’exhortons à rejeter cette plainte, dans le respect des principes de proportionnalité et d’impartialité », a déclaré Reporters sans frontières.
« Cette affaire fait apparaître au grand jour tout le potentiel répressif d’une des nombreuses lois adoptées ces derniers mois au nom de la moralisation de la société et de la protection de l’enfance. Des professionnels des médias faisaient déjà régulièrement l’objet de poursuites peu fondées pour extrémisme ou diffamation ; ils peuvent désormais être mis en cause pour blasphème, “propagande homosexuelle” ou simplement pour avoir proféré des jurons. La démultiplication des chefs d’accusation vagues et larges imputables aux médias est d’autant plus inquiétante qu’elle s’accompagne d’une pratique judiciaire trop souvent opaque et partiale », a souligné l’organisation.
Les publications incriminées sont deux vidéos mises en ligne par l’agence au cours de l’été 2013. La première, consacrée au groupe punk Pussy Riot et intitulée « Les filles ont chanté une nouvelle chanson », avait été diffusée sur le site de Rosbalt le 16 juillet 2013. La seconde, titrée « Le mec de Krasnodar », montrait l’arrestation d’un individu armé d’une hache. L’agence affirme avoir repris ces enregistrements de la plate-forme YouTube. Les jurons en question ne sont pas prononcés par des employés de Rosbalt, mais par les protagonistes des événements. Le 27 juillet, le Roskomnadzor avait enjoint à l’agence de retirer ces vidéos, ce qu’elle avait aussitôt fait.
Aussi est-ce avec étonnement que l’on a appris, début octobre, l’ouverture par l’autorité de surveillance des communications de deux actions en justice contre Rosbalt (une pour chaque vidéo). Le Roskomnadzor ne demande rien de moins que la fermeture du média. S’il fait preuve d’une sévérité extrême, les éléments de preuve fournis à la cour sont loin d’être si solides. L’un des deux CD-rom présentés par l’accusation est inutilisable car endommagé ; le second contient deux enregistrements datant du 2 octobre 2013, alors que les vidéos incriminées avaient été supprimées du site de Rosbalt en juillet. Le Roskomnadzor les aurait récupérées sur YouTube, où elles sont encore accessibles. Les juges ont ordonné un examen philologique des enregistrements.
De nombreuses voix se sont élevées pour défendre Rosbalt, dans les milieux journalistique comme politique. Plusieurs députés ont dénoncé le caractère arbitraire des démarches du Roskomnadzor, parmi lesquels des représentants de l’opposition, mais également des membres du parti au pouvoir Russie Unie. C’est même le cas de l’un des auteurs de la loi interdisant l’usage de jurons dans les médias, Ilia Ponomarev, qui estime que les plaintes portées contre Rosbalt “contreviennent à l’esprit de la loi” et ne visent qu’à adresser un avertissement à l’ensemble des médias russes.
Malgré la faiblesse des preuves et les soutiens politiques dont jouit Rosbalt dans cette affaire, le rédacteur en chef de l’agence, , a déjà été condamné le 25 octobre à deux amendes de 10 000 roubles chacune.
(Photo : Rosbalt)