Daniel Balavoine intime

Pour la première fois, sa soeur Claire, avec la complicité du photographe Alain Marouani, évoque Daniel balavoine dans un livré témoignage* publié chez Flammarion. L’histoire d’un rebelle au grand coeur. Extraits exclusifs.

Une enfance chahutée.

Daniel Balavoine est né le 5 février 1952 à Alençon, dans l’Orne. C’est un heureux hasard dû aux fréquentes mutations de son père, Emile, ingénieur divisionnaire des travaux publics, affecté par l’Etat à la reconstruction du pays à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Daniel est le petit dernier d’une fratrie de sept. Deux filles d’abord, Marie-Françoise, venue au monde en 1940, suivie en 1943 de Claire, puis d’une série de garçons – en 1944 Bernard, en 1946 Guy, en 1948 Yves, et en 1949 Xavier, qui décède à quatorze mois d’une méningite. Malgré l’affection et les dénégations tardives de sa mère, Elisabeth, Daniel se vivra un peu, par moments, comme l’enfant de remplacement. Le futur chanteur est à peine âgé de un an quand sa famille déménage pour Bordeaux, où elle restera sept ans. C’est en quelque sorte un retour aux sources.

La lignée maternelle est landaise, la paternelle basco-picarde. […] Son enfance est un peu chahutée par la séparation de ses parents. Il a cinq ans quand la rupture se produit, au bout de vingt ans de vie commune. Après avoir été mère au foyer puis démonstratrice de produits de beauté, sa mère rencontre un autre homme, René, et part habiter avec lui à Nice. Elle y ouvre un magasin d’antiquités. […]

Tous les enfants restent avec le père qui s’installe à Biarritz, ville phare, port d’attache du chanteur où, marié, il revient implanter sa propre famille. Il s’y sent bien. Il est de là. L’adolescent Balavoine en veut à ses parents de s’être séparés. Il lui arrive de se sentir abandonné, de s’emporter contre l’un et l’autre. Il a sept ans, lorsque son père est muté pour deux ans à Tizi-Ouzou, en Algérie. L’enfant est mis en pension à Hasparren, à quelques encablures de Biarritz, au cœur du Pays Basque. Période affectivement difficile, terrible sentiment d’un abandon qu’il trompe par une fascination pour son professeur de français, puis pour une jeune vendeuse travaillant en face du collège, qu’il entrevoit en jouant à la pelote basque, mal-être et exaltation qui se traduisent par une envie temporaire, plus ou moins réelle, de devenir prêtre. Il veut quitter le pensionnat et être admis à l’Immaculée Conception de Pau, le seul établissement local qui conduise à la prêtrise.

Fin 1961, son père étant revenu, il redevient externe et se sent mieux. […] Scolarisé à Pau chez son père, il passe ses vacances à Nice, chez sa mère, qui « continue à venir régulièrement à la maison ». […]

Premières expériences à Paris

[…] Mais tandis que le métier s’apprend, il faut bien vivre. Comme son frère Guy, il accepte un emploi de choriste. Sa voix s’y prête, puissante, régulière, capable de naviguer entre les graves et les aigus, tant son étendue vocale est large. Les musiciens la remarquent, les maisons de disques s’y intéressent. Il n’est donc pas étonnant que les deux frères soient engagés comme choristes par le groupe féminin Les Fléchettes, par Triangle et Martin Circus. A leur tour, le librettiste Alain Boublil et le compositeur Claude-Michel Schönberg les prennent dans les chœurs de l’opéra rock La Révolution française, qu’ils créent en 1973 au Palais des Sports. Francis Morane en est le réalisateur. Dans la distribution, on retrouve pêle-mêle les Martin Circus, les Charlots et Antoine.

Au même moment, l’amour s’invite dans sa vie. Au Gibus, il a rencontré Dominique, une jeune et jolie Polonaise qu’il épouse contre l’avis de sa maman. Daniel croit au mariage. Il veut que la femme qu’il aime porte son nom et lui fasse des enfants. La mésentente s’installe vite dans le couple. Dominique ne voit pas d’un bon œil les aventures musicales de son mari, les hauts et les bas, plus de bas que de hauts. Elle aspire à une plus grande stabilité financière. Pour la satisfaire, Daniel accepte un boulot de vendeur chez un disquaire. Il s’étiole, dépérit. Le divorce devient inéluctable puis effectif. Daniel ne se remariera pas. […]

Corinne, son « Aziza »

[…] A l’été 1985, avec son équipe, il retourne en Ecosse enregistrer son huitième album studio, Sauvez l’amour. Puis il le mixe à Paris au studio du Palais des Congrès. Le résultat est dans les bacs en octobre, en même temps que sa version CD, format encore rarissime à l’époque. Musicalement, l’opus présente une large gamme de sonorités nouvelles inédites en France. […]

De l’avis général, et du sien aussi, cet album est son meilleur, le plus abouti, celui qui marque la maturité du parolier et du chanteur. Monique Le Marcis, alors directrice des programmes de RTL, qui le soutient depuis ses débuts, rapporte qu’il lui aurait dit : « J’aime tellement cet album que j’aimerais que ce soit le dernier ». Il comprend neuf titres qui traitent tous d’un problème politique ou social ; ils sont un appel à la tolérance empreinte de compréhension de l’autre, et de douceur […] L’unanimité se fait autour de L’Aziza (« la chérie », en arabe), dont les ventes en single dépassent le million. Elle naît de sa vie de couple et du climat social qui occupe la France, où le Front national monte en puissance avec des législatives à la proportionnelle voulues par Mitterrand. L’Aziza rend hommage à sa compagne, Corinne, juive d’origine marocaine – la mère de son fils, Jérémie, alors enceinte de sa fille, Joanna –, et s’insurge contre le rejet des étrangers. Il ne s’inscrit pas dans la cohorte des antiracistes, mais prône l’amour de toutes les races. « Je vis avec une femme qui est juive marocaine. Aussi, lorsque j’entends certaines personnes dire qu’il faut foutre dehors les immigrés, j’ai peur qu’on me l’enlève. Je me suis réveillé un matin, je l’ai regardée et j’ai constaté qu’elle avait des cheveux noirs, la peau mate et qu’elle était née à Casablanca », dit-il dans une interview. « Ta couleur et tes mots, tout me va, Que tu vives ici ou là-bas », mais il ajoute : « Je te veux si tu veux de moi ».

Epidermique, rebelle par nature, il met en chanson ce qui lui semble insupportable, indiquant la voie pour sortir de l’impasse : il s’agit avant tout d’aimer, de ne jamais cesser d’aimer. […]

14 janvier 1986, le drame.

Le 13 janvier, Daniel rejoint le Paris-Dakar à Niamey, la capitale du Niger. […] L’atmosphère est très détendue. Lui est là pour l’installation des premières pompes à eau. Son attaché de presse lui téléphone de Paris pour lui dire que L’Aziza est devenue rapidement disque d’or et qu’il lui faut rentrer au plus tôt, car les télévisions l’attendent. […] L’ambiance est formidable. Le lendemain sera le quatorzième jour de l’épreuve. Longue de 843 km, celle-ci relie Niamey à Gourma- Rharous, au Mali. […]

Doivent monter à ce moment-là, dans l’appareil Eurocopter AS350 Ecureuil blanc, le journaliste Patrick Chêne, Jean-Luc Roy et Patrick Poivre d’Arvor. Ces deux derniers préparent un livre sur le Dakar 1986. D’autre part, Patrick Poivre d’Arvor doit suivre Daniel Balavoine pour relater dans Le Journal du Dimanche son action humanitaire.

Pour l’instant, Daniel n’a pas sa place de prévue dans l’hélicoptère de Thierry Sabine. Mais au même moment, d’autres avions se posent sur l’aéroport. Les journalistes préfèrent prendre l’avion. Patrick Poivre d’Arvor laisse sa place à sa consœur du Journal du Dimanche, Nathalie Odent, toute ravie de l’occasion. Patrick Chêne laisse la sienne à Jean-Paul Le Fur, technicien radio de RTL qui aime l’aventure.

Thierry avait promis à Daniel un survol du Ténéré qui n’avait pu se faire, et l’invite car il y a une place de libre. Celui-ci hésite, car il n’aime pas les « ventilateurs », comme il dit, mais devant l’insistance de Thierry et le côté pratique pour rejoindre Gourma-Rharous, il monte enfin. Jean-Luc Roy, son ami et copilote, est là, qui aurait dû prendre place aussi, mais renonce, retenu par la rédaction des articles qu’il doit envoyer de Bamako le soir même. François-Xavier Bagnoud, le pilote, est déjà aux commandes. Il est 17h15, le jour baisse, il faut partir. L’hélico blanc s’envole dans la poussière, Daniel fait un dernier salut à travers la vitre. Jean-Luc Roy, lui, prend l’avion pour Tombouctou. Du hublot, il se rend vite compte que l’hélicoptère, qui n’a pas le droit de voler la nuit, va rencontrer un gros problème de visibilité.

L’hélicoptère se pose une première fois à Gossi. Il est 18h30. C’est le départ de la deuxième étape chronométrée. Mais il faut repartir rapidement, le jour tombe et l’appareil n’est pas équipé pour voler la nuit.

À vingt kilomètres de l’étape finale du jour, Gourma- Rharous, l’engin se pose à côté de la piste du rallye. Le pilote, n’ayant pas le droit de piloter la nuit, a peur de se faire retirer sa licence. Il s’est déjà fait plusieurs fois réprimander par le service de sécurité. Thierry Sabine se rapproche de la piste et arrête la Lada de Pierre Lartigue et Bernard Giroux, demandant à celui-ci de prévenir à l’arrivée de l’étape pour qu’une voiture vienne les chercher. À l’arrivée, on décharge une Toyota qui repart chercher le groupe.

Contre toute attente, l’hélico, subitement, redécolle. Pourquoi ? Aucune explication logique ne l’explique ! Il aura sans doute fallu un événement exceptionnel. La visibilité étant très mauvaise, l’hélicoptère, comme c’est l’usage, suit les feux arrière d’un des concurrents car, pour éviter tout risque de collision, chaque voiture du rallye est équipée d’un puissant feu rouge arrière, visible même à travers la poussière dense générée par le véhicule précédent.

Le pilote de l’hélico décide de suivre la Mitsubishi Pajero blanche numéro 347 de Charles Belvèze et Jacky Giraud. Ceux-ci l’entendent très distinctement au-dessus d’eux, malgré le bruit assourdissant à l’intérieur de leur voiture. Dans un virage, ils sont obligés de ralentir, et l’hélicoptère les double à grande vitesse. Peu après, ils entendent un grand bruit, comme une implosion, mais ne réalisent pas tout de suite ce qui s’est passé.

Mais c’est le pire qui vient d’arriver. Le lendemain matin, en France, l’annonce du crash et l’absence de survivants fait l’effet d’une bombe. D’abord incrédule, l’opinion, les jeunes surtout, mesure combien elle comptait sur Balavoine pour donner des coups de boutoir et avancer. La disparition de Daniel laisse un vide, une béance que ses chansons qui passent en boucle dans les médias permettent de mesurer. On apprend alors que ce modeste, cet homme qui ne faisait rien à moitié, avait cédé en secret les droits d’Un enfant assis attend la pluie au profit de l’Afrique.

Sa dépouille est rapatriée en région parisienne. Au funérarium de Nanterre, pendant plusieurs jours, son public vient s’incliner devant l’artiste qui savait si bien dire et chanter les indispensables engagements de son époque. Le 20 janvier, ses obsèques sont célébrées à Biarritz, où il repose désormais au cimetière de Ranquine. […]

*Daniel Balavoine, de Claire Balavoine et Alain Marouani (Editions Flammarion)

Click Here: Kenzo Women’s New Collection