Reporters sans frontières reprend son fil d’actualité pour rendre compte des multiples pressions dont sont victimes les acteurs de l’information en Turquie.
Reporters sans frontières se réjouit de la remise en liberté conditionnelle, le 26 avril 2013, de deux journalistes retenus en détention provisoire depuis quinze mois dans le procès du « comité des médias du KCK ». L’organisation est cependant profondément déçue par le caractère très limité de cette mesure : vingt-quatre journalistes et collaborateurs des médias pro-kurdes restent incarcérés dans cette affaire.
Le 26 avril, au terme de quatre jours d’audience, la 15e chambre de la cour d’assises d’Istanbul a mis fin à la détention de , reporter de l’agence de presse Firat, et de , correspondant de l’agence de presse Diha. Leurs vingt-quatre collègues restent pour l’heure incarcérés au motif qu’« ils risqueraient de s’évader » et que « les peines prévues pour les chefs d’accusation retenus contre eux sont lourdes ». La prochaine audience se tiendra du 17 au 19 juin, date à laquelle la Cour statuera de nouveau sur les demandes de remise en liberté conditionnelle. Elle espère que d’autres collaborateurs de médias, pour lesquels des mandats d’arrêts ont été lancés, auront été appréhendés d’ici-là. Elle procédera entre temps à l’analyse des retranscriptions de conversations téléphoniques concernant les journalistes et .
Estimant à l’audience que ses clients étaient poursuivis pour avoir couvert la question kurde, l’avocat Firat Epözdemir a souligné l’incohérence de ce procès dans le contexte des négociations de paix entre le gouvernement et le PKK. « La conférence de presse (du PKK) au Mont Kandil le 25 avril a été suivie par une centaine de journalistes, principalement de la presse turque, parmi lesquels des représentants de l’agence officielle Anatolie. Dans ce contexte, je ne comprends pas pourquoi nos clients journalistes sont jugés », a-t-il déclaré. Pour l’avocat Ercan Kanar, « la qualité du journalisme n’est réglementée que par les critères professionnels de l’éthique. Cela ne doit pas être débattu dans une salle d’audience. Les journalistes ici présents ont déjà gagné leur place dans l’histoire de la liberté de la presse dans le monde ».
La Cour a saisi le parquet du fait de l’emploi par certains prévenus d’expressions telles que « soi-disant procès », « acte d’accusation calomnieux », « soi-disant acte d’accusation ».
Deux représentants de RSF avaient assisté à l’ouverture de la 12e audience, le 22 avril, dans le cadre d’une mission d’enquête sur la portée pour la liberté de la presse des négociations en cours sur la question kurde. Ils s’étaient ensuite rendus trois jours à Diyarbakir (Sud-Est) pour rencontrer des représentants de la société civile et journalistes de la région. Leur demande de rendre visite à , incarcéré depuis octobre 2011 dans une prison de Diyarbakir, n’a pas été satisfaite.
Dans un procès séparé, la 10e chambre de la cour d’assises spéciale d’Adana (Sud) a décidé le 24 avril 2013 de remettre en liberté conditionnelle la reporter de Diha, , et cinq autres prévenus. Interpellée le 3 novembre 2012 avec et (Azadiya Welat) et incarcérée au terme de sa garde à vue, elle reste soupçonnée d’appartenance au KCK. La journaliste est connue pour avoir enquêté, comme , sur les mauvais traitements infligés à des adolescents à la prison de Pozanti (Adana). Elle reste soumise à un contrôle judiciaire jusqu’à la prochaine audience, le 3 juillet prochain.
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Reporters sans frontières continue à suivre attentivement la progression du procès « Ergenekon », dont la 288e audience s’est poursuivie le 26 avril 2013 à Silivri (Nord d’Istanbul). 275 prévenus, dont 66 en détention préventive, comparaissent depuis 2008 dans le cadre de cette enquête, portant sur un réseau soupçonné d’avoir projeté de renverser le gouvernement.
Le prévenu Bedirhan Sinal a déclaré au tribunal que c’était la police qui lui avait fournie une grenade à lancer sur les bureaux du quotidien Cumhuriyet (République). Il aurait finalement renoncé à le faire pour épargner des innocents, se contentant de jeter un cocktail Molotov en direction des locaux. D’après Bedirhan Sinal, « une structure au sein de la police (l’)a utilisé depuis son plus jeune âge et a occasionnellement fermé les yeux sur (ses) activités délinquantes ».
Dans son réquisitoire présenté le 18 mars dernier, le procureur Mehmet Ali Pekgüzel estimait que « l’existence d’une organisation terroriste (était) établie » et réclamait la prison à vie sans possibilité d’amnistie pour une soixantaine d’accusés, dont les journalistes et , en détention provisoire depuis de cinq ans, ainsi que leurs collègues et .
A l’audience, l’avocat de Tuncay Özkan, Hüseyin Ersöz, a invité la commission parlementaire chargée d’enquêter sur les écoutes illégales à évaluer du point de vue des droits de l’homme les pièces à conviction présentées contre son client par la Cour.
Mustafa Balbay et , maintenus en détention provisoire malgré leur élection au poste de députés en 2011, ont publié un communiqué pour demander aux autorités de « mettre fin à cette honte ». « Les accusations portées contre nous ne relèvent que des droits à fonder un parti politique, à manifester et à propager nos idées. Tous ces actes ne comportent aucune violence et sont garantis par la Constitution », ont-ils déclaré.
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Reporters sans frontières condamne vigoureusement l’agression du journaliste , et espère que l’enquête ouverte par la police locale sera menée de façon complète et impartiale.
Le 27 mars 2013, le propriétaire du quotidien local Habertrak (Thrace Info), a été assailli à coups de bâton par deux inconnus masqués dans le centre-ville de Tekirdag, en Thrace orientale (nord-ouest du pays). Les agresseurs ont pris la fuite lorsque Cenap Kürümoglu a appelé au secours. Blessé à l’oeil, le journaliste a été brièvement hospitalisé. D’après lui, son agression serait liée à la ligne éditoriale de Habertrak, proche du parti d’opposition kémaliste CHP et critique des autorités locales. La police a ouvert une enquête et saisi les enregistrements de vidéosurveillance des commerçants voisins.
“L’un des agresseurs était petit, l’autre grand. Ma foi, les hommes de main de ceux qui pillent la ville de Tekirdag sont responsables (de cette agression). Ces actes ne sauront m’intimider. Il n’y aura pas le moindre changement dans la ligne éditoriale de mon journal, ni à la première agression ni à la cinquième”, a déclaré Cenap Kürümoglu à la sortie de l’hôpital.
Il y a dix jours, deux autres journalistes turcs avaient été passés à tabac par des riverains à Ankara.
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Le procès pour “outrage à magistrat” intenté au célèbre journaliste d’investigation s’est poursuivi le 26 mars 2013 devant le tribunal correctionnel de Silivri (banlieue d’Istanbul). Reporters sans frontières demande une nouvelle fois l’abandon immédiat des charges absurdes qui pèsent contre lui.
Ahmet Sik risque jusqu’à sept ans de prison pour ses propos tenus le 12 mars dernier, lors de sa remise en liberté après un an de détention provisoire dans le cadre du procès OdaTV. “Un jour, ceux qui ont fomenté ce complot, les policiers, procureurs et juges qui l’ont mis en œuvre, seront à leur tour incarcérés dans cette prison. La justice réapparaîtra le jour où ils y entreront”, avait-il entre autres déclaré.
Trente-neuf procureurs et juges en charge de l’enquête Ergenekon accusent le journaliste de les avoir “menacé” et “insulté dans l’exercice de leurs fonctions”. Quatre magistrats doivent encore faire savoir s’ils portent plainte ou non contre Ahmet Sik. Le procès reprendra le 31 mai.