L’Envoyé spécial d’Elise Lucet sur l’affaire Bygmalion diffusé ce soir sur France 2 est très attendu. Enquête sur la manière dont les personnalités politiques se préparent à affronter cette journaliste et les autres.
« Une chose est sûre : quand vous vous retrouvez devant Elise Lucet, vous savez que c’est fini pour vous. Vous n’avez plus qu’à essayer de limiter les dégâts. » Le conseil vient de Philippe Moreau Chevrolet, mediatrainer et dirigeant de MCBG Conseils. A tous les hommes de pouvoir, ministres, députés qu’il a l’occasion de coacher, il préfère annoncer la couleur. D’ailleurs, toutes les agences de conseil en communication politique le savent et le font savoir : face à la journaliste et à ses nouvelles méthodes d’investigation par l’insistance et le rentre-dedans, les cartes du débat public sont totalement rebattues. L’agence Publicis Consultants Net Intelligenz a même publié sur son blog un « guide pour réagir face à Cash Investigation » en cinq points. C’est un fait : Elise Lucet est redoutable et redoutée. Elle a su faire oublier l’image de « ringarde » que le microcosme médiatique lui a longtemps collé. A son propos, le député Thierry Solère, organisateur de la primaire de la droite et du centre, admet : «On a souvent le sentiment qu’Elise Lucet est en croisade. Elle semble être habitée. Comme investie dans le rôle d’un procureur. »
Le communicant Moreau Chevrolet la compare plus volontiers à un juge d’instruction. Quoi qu’il en soit, rien qui donne très envie d’être dans sa ligne de mire. A l’instar de Jean-Jacques Bourdin, matinalier de RMC et intervieweur chevronné à la recherche de la petite bête sur BFMTV, des jeunes équipes menées par Yann Barthès – Martin Weill, Hugo Clément entre autres –, anciennement pour Le Petit Journal de Canal+ et dorénavant pour Quotidien sur TMC, ou des chroniqueurs incisifs de Laurent Ruquier dans son talk du samedi soir, On n’est pas couché. Invité à deux reprises du show de France 2, Thierry Solère raconte qu’« avant d’entrer en piste dans l’émission, lorsqu’on se retrouve en haut des marches en Plexiglas, on a la boule au ventre. On a un peu l’impression que c’est l’ouverture de la chasse et que le lapin, c’est vous ! » D’autant que le député des Hauts-de-Seine le sait : « Si vous ratez votre prestation dans ce type d’émission, si vous y faites une déclaration malhabile, cela vous suit pendant des semaines. Alors que les journalistes qui sont en face de vous, eux, passent à autre chose. » La messe cathodique est dite, les préposés enchaînent. Car aucun d’entre eux ne lâche jamais le morceau.
Quand Elise Lucet se fait traiter de « pauvre fille » par une Rachida Dati excédée, quand Jean-Jacques Bourdin « piège » la ministre du travail Myriam El Khomri sur les règles régissant les CDD, c’est le buzz assuré. « Ce qu’ils recherchent, ce sont des retombées », explique Patricia Chapelotte, présidente d’Albera Conseil, Agence de communication d’influence. « Il y a dix-douze ans, Jean-Pierre Elkabbach m’appelait le matin pour me donner les questions qu’il s’apprêtait à poser à mon client (Dominique Perben, Garde des Sceaux à l’époque) afin que je lui souffle la réponse qui ferait mouche et serait reprise par l’AFP ensuite… »
Aujourd’hui, les réseaux sociaux ont pris le relais. Philippe Moreau Chevrolet le confirme : il parle même en la matière d’une « école Bourdin », « dont Léa Salamé se revendique ». « Le but est avant tout la recherche d’audience et les retombées médiatiques. Il s’agit de provoquer l’imprévu. » Bruno Le Maire « aime être challengé », selon son entourage, et avoue apprécier le titillage en règle du journaliste de RMC.L’ancien ministre de l’Agriculture répète à qui veut l’entendre qu’« Une bonne interview c’est comme un match de tennis : meilleur est votre partenaire, mieux vous jouez. » Son travail avec le metteur en scène et comédien Alain Sachs a permis à cet introverti de mieux exprimer ses émotions. Une démarche qui se justifie selon Eric Coutard, mediatrainer et formateur au CFPJ, car la difficulté de l’exercice réside dans le fait que « le rôle des intervieweurs s’apparente de plus en plus souvent à celui d’un comédien ». Concrètement, Patricia Chapelotte explique : «Ce qu’on apprend à nos clients c’est avant tout à ne jamais montrer s’ils sont déstabilisés. Ils doivent dérouler leur pensée sans sortir les armes, apprendre à se répéter, reformuler si besoin. On prépare avec eux des fiches de mots-clés à placer, une ou deux formules qui résument l’intervention et pourront être reprises. On leur montre comment faire des phrases courtes, utiliser l’humour si nécessaire, rendre cohérent leur attitude et leur discours… ». Une préparation sur mesure qui permet aux « interviewés » de jouer la carte de la sérénité. Jean-François Copé reconnaît que les veilles de rencontres médiatiques importantes, il joue « un peu plus longuement du piano que d’habitude »… Nicolas Dupont-Aignan avoue se détendre en alignant les longueurs à la piscine. Bruno Le Maire s’accorde une sieste ou lit un livre qui n’a rien à voir avec la politique, et Jean-Luc Mélenchon jure qu’il ne « craint personne », voire que « quelques-uns le dégoûtent » ! Doit-on en déduire que ces messires de la joute verbale ne connaissent pas le stress ? La vérité est toujours ailleurs. Mais on peut compter sur Elise Lucet et consorts pour la débusquer !
Amélie de Menou (avec Marie Haynes et Candice Nedelec)