C’était l’été 2012. Il faisait beau. France Gall était la rédactrice en chef d’un numéro spécial de Gala. Notre journaliste Nathalie Baumgartner raconte.
C’est le jour de la première conférence de rédaction. France Gall arrive entourée de son staff, auquel elle a toujours été fidèle. Elle sourit. Nous rencontre un par un. Professionnelle. Elle est déjà investie dans sa tâche. Pour le sujet de mode, je souhaite explorer les looks de sa vie, et les faire ré-interpréter par une mannequin. Sa période “Sacré Charlemagne”, kilt en tartan et chaussettes hautes; sa “Poupée de cire, poupée de son” avec perfecto et béret; les eighties incarnés par “Musique” ou “Débranche”, en look bleu électrique ou salopette et marinière empruntées à Jean-Paul Gaultier.
J’avais préparé une rétrospective en images afin qu’elle me donne son accord sur les styles évoqués. On projette sur grand écran. Erreur de manip. Se retrouve sur l’écran une photo d’elle sur le cercueil de sa fille… Dans cette grande salle de réunion, je suis placée à côté d’elle, je pose instinctivement ma main sur sa cuisse. Je ressens sa douleur. Son frisson est imperceptible par celui qui ne la touche pas de près. France Gall reste digne. France Gall croit en la vie. France Gall est consciente que sa mission n’est pas accomplie, elle doit résister pour son fils Raphaël. Pour les autres aussi.
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Dans ce numéro, un autre sujet – couverture et interview – doit être shooté par la star des photographes, Gilles Bensimon. A la demande de France Gall, je pars aussi sur ce projet : quatre jours à Saint-Paul- de-Vence. Dès mon arrivée, nous nous retrouvons dans sa chambre pour des essayages. Elle a prévu d’agrémenter le stylisme de touches de son pays de cœur, celui de Babacar, le Sénégal. De sa valise, elle sort des boubous en wax, des djellabas brodées, des bijoux perlés, des merveilleux trésors africains. On les mixe aux looks pour un beau résultat : France Gall, vraie et authentique.
Pour les prises de vues, elle ne sera prête qu’à midi : elle n’aime pas les matins… Son équipe de maquilleur et coiffeur, à l’écoute, la suit au doigt et à l’œil. Ils sont professionnels, mais au-delà. Ils surveillent chaque photo comme le lait sur le feu. Ils ne supportent pas l’idée de la décevoir : ils l’aiment.
Le soir, nous dînons tous à nôtre hôtel la Colombe d’Or. Autour de la table, elle mène la soirée. « Tu dois goûter ça! Puis, toi, ça!” “Monsieur, s’il vous plaît, redonnez un peu de vin à cette personne, son verre est vide », dit-elle. Elle nous cajole. France Gall est une mamma, attentive et sensible à tout.
Un soir, elle nous convie dans sa chambre pour suivre un match de foot, France/Italie. France Gall aime le foot. Je lui demande pourquoi ? Elle me répond : « J’aime voir l’effort pour vaincre. » Ce soir-là, l’Italie a gagné. Mais France est bonne joueuse…
Le lendemain, sur le shooting, je reçois plusieurs coups de fils de Paris. J’ai un souci familial. Je m’éloigne, préoccupée. France me regarde. Inquiète. Puis, elle me demande ce qu’il se passe. Je lui dis que tout va bien, même si ce n’est pas vrai… Le soir, elle revient à la charge. « Qu’est ce qu’il se passe pour toi ? Je veux savoir ! Je suis ta rédac’ chef, n’oublie pas ! », dit-elle, attentionnée. Là, je m’effondre et lui raconte. Elle veut que je rentre à Paris. Elle insiste. Je lui explique que ça ne changera rien. Je reste ! Alors, chaque jour, elle veille sur moi. Chaque instant. Chaque seconde. Elle pose devant l’objectif mais ne me lâche pas du regard. Le shooting se termine. On se laisse en se serrant. Fort. Pour le bouclage, elle reviendra au journal, chargée de colliers de perles d’Afrique pour toute l’équipe. France… généreuse et reconnaissante.
L’an dernier, elle convie toute la rédaction à une représentation de sa comédie musicale “Résiste“, un titre qui fait malheureusement écho, au même moment, aux attentats de Paris. En backstage, elle nous reçoit après le spectacle. Cela fait deux ans que je ne l’ai pas revue. Elle ne change pas. France… fidèle. Sensible. Forte.
Il est rare de rencontrer des personnes comme elle. France Gall a du affronter une série d’épreuves insoutenables. Dures. Trop dures. Le décès de Michel Berger, son amour et mentor. Celui de sa fille, Pauline. Puis la maladie… Si elle a survécu à tout ça, c’est pour les autres. Consciente d’avoir encore des rôles à jouer, des aides à apporter.
France Gall était une battante humaine, deux mots qui luttent entre eux normalement… Mais France Gall incarnait les deux avec force et détermination. Car France Gall : « Elle l’a, elle l’a… »
Crédits photos : Domine Jerome/ABACA