Depuis vingt ans déjà, Hussam Hindi, 58 ans, est à la direction artistique du Festival de Dinard qui a permis à des cinéastes comme Danny Boyle et Asif Kapadia de lancer leur carrière. Il revient sur les enjeux de son travail cinéphile.
AlloCiné : Vous êtes né d’un père palestinien et d’une mère d’origine bosniaque, immigré en France quand vous étiez étudiant, et aujourd’hui sélectionneur du Festival du Film Britannique. Un vrai mélange !
Hussam Hindi : J’ai commencé à me passionner pour le cinéma grâce à mes parents qui, en Jordanie, m’emmenaient voir un film tous les jeudis soir. C’était un cinéma familial. Souvent, ça marchait, parfois pas. J’ai pu voir Les Dents de la mer ou Le Parrain très jeune. Ça ne gênait pas les parents, à l’époque. Il n’y avait pas de problème de censure. Arrivé en France, j’ai continué à aller au cinéma et j’ai découvert le cinéma français. A bout de souffle, j’étais scotché devant un OFNI (Objet Filmique Non-Identifié). J’ai fondé un ciné-club à Rennes pour pouvoir passer ce genre de films, sans bien m’y connaître au cinéma. Ça a eu beaucoup de succès et j’ai pris la grosse tête : j’ai fondé un festival à Rennes qui s’appelle Travelling et qui existe encore aujourd’hui. La première édition se concentrait sur le cinéma britannique et c’est comme ça que Dinard m’a contacté. Je n’y connaissais rien, en 1990 ! J’ai appris sur le tas.
En 1997, vous reprenez la direction artistique du Festival. Comment s’est passée votre nomination à ce poste ?
L’année de The Full Monty ! C’est arrivé parce que j’étais déjà là, tout simplement. L’ancien directeur artistique a quitté ses fonctions et il fallait trouver quelqu’un pour seconder le président du festival de l’époque. Moi, je m’occupais de tout ce qui était scolaire et j’assistais sur les questions artistiques. Je commençais à connaître un peu la question. J’avais quelques contacts lointains. Un jour, le président du festival m’a demandé de l’accompagner à Londres pour sélectionner des films. Il a vu que j’avais un avis tranché et il m’a laissé la liberté de la tâche. Le Festival de Dinard, cette année-là, s’est passé de directeur artistique officiel et, l’année suivante, j’ai découvert mon nom à ce poste. On ne me l’a jamais annoncé officiellement !
Nous sélectionnons des réalisateurs qui ne font pas encore de chefs d’œuvre, mais qui en feront peut-être un jour.
Est-ce un vrai job ? À temps plein ?
Ce n’est pas bénévole, bien sûr. Je commence en mai, même si le travail s’étale sur l’année parce qu’il faut rester en contact avec la cinématographie britannique. Mais c’est à Cannes, au marché du film, que le boulot commence officiellement. Je passe ensuite une semaine à Londres fin juin et, en juillet-août, je me fixe à Paris pour voir avec les distributeurs et les producteurs ce qu’ils peuvent me proposer. J’ai le statut de travailleur indépendant employé par la ville de Dinard. Le reste du temps, je suis prof à Rennes. J’enseigne la mise en scène à l’ESRA et je donne des cours de cinéma à l’Université de Rennes 2 aux futurs professeurs de français-langues étrangères, pour qu’ils aient le bagage culturel nécessaire dans ce domaine.
Une fois les films sélectionnés, comment établit-on la liste de ceux qui seront en compétition, hors compétition et en séance spéciale ?
Parfois les choses s’imposent. La compétition, c’est plutôt des films sans star, essentiellement des premiers films (il y en a cinq sur six cette année). Il faut qu’ils soient fragiles économiquement, mais pas artistiquement. Ce sont des films dont l’histoire me touche, en général. Mais c’est surtout la façon de les raconter qui m’intéresse. L’histoire m’importe beaucoup mais la mise en scène encore plus. Une belle histoire mal mise en scène, ça fait un mauvais film. Mais l’inverse n’existe pas : on peut avoir une toute petite histoire mise en scène magistralement, et là on tient un bon film. La façon de raconter la narration, la direction des acteurs, l’utilisation du langage cinématographique, c’est ça qui me plait. C’est un aspect général, un ressenti. Les films qui sont déjà passés dans d’autres festivals vont naturellement passer hors-compétition, tout comme ceux qu’on sélectionne pour le public ou pour le plaisir. Mais j’essaie de ne pas me laisser trop guider par le public parce qu’il est très varié, à Dinard. De toute façon, nous ne sommes pas un festival de chefs d’œuvre. Ces films-là vont ailleurs, ils n’ont pas besoin de nous. Nous sélectionnons des réalisateurs qui ne font pas encore de chefs d’œuvre, mais qui en feront peut-être un jour.
Quel est votre meilleur souvenir de ce festival de Dinard ?
Hugh Grant sur scène avec une foule déchainée. Il racontait que, quand il était ado, il se baignait nu sur les plages de Saint-Lunaire et de Saint-Briac. Toutes les femmes ont fondu en l’imaginant. Il est génial, cet homme-là.
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Combien de Hitchcock d’Or ont été remis à ce jour ?
Le premier Grand Prix du Jury a été remis en 1991, un an après la fondation du Festival. Une année, en 2010, nous avons remis deux prix ex-aequo, ce qui rattrape la première année perdue. Donc vingt-sept Hitchcock d’Or ont été attribués à ce jour. Le nom du prix n’est devenu officiel qu’à partir de 1994.
Le cinéma britannique accueille des réalisateurs d’origines différentes
Voilà déjà trois ans que le prix n’a pas été attribué à un réalisateur britannique. Faites-vous des exceptions pour les cinématographies voisines ?
C’est tout à fait juste : les deux derniers metteurs en scène à avoir reçu le prix étaient irlandais et belge. Ça montre que le cinéma britannique accueille des réalisateurs d’origines différentes. Cette année, il y a un Français qui vit à New-York en compétition [Jean-Stéphane Sauvaire pour Une prière avant l’aube, ndlr]. La Grande-Bretagne est très ouverte, en ce qui concerne son cinéma. Le Hitchcock d’Or peut récompenser un film irlandais comme Sing Street en 2016 ou un film néozélandais comme In My Father’s Den en 2004.
Sur cinq films primés, un ne sort pas en salles en France. Quel est le problème ?
Le jury, parfois, a un coup de cœur pour un film sans savoir s’il sera distribué ou non. On le laisse libre. Les distributeurs français, eux, veulent du résultat. Certains longs métrages ne les mettent pas en confiance. Il y a déjà beaucoup de films sur le marché. Un Hitchcock d’Or ne veut pas dire succès, ni distribution.
Une seule femme a reçu le prix alors que le Festival fait preuve d’une parité exemplaire en ce qui concerne les présidents du jury. Comment l’expliquez-vous ?
Pour dix réalisateurs, il y a une réalisatrice. C’est un système qui reste encore très masculin, dirigé par des hommes et on ne laisse guère aux femmes d’espace pour s’exprimer. A Cannes, c’est la même chose : une seule femme a eu la Palme d’Or à ce jour [Jane Campion pour La Leçon de Piano en 1993, ndlr]. Et, à Cannes, il y a eu bien plus de présidents du jury que de présidentes ! Le cinéma est un espace encore très masculin aujourd’hui, effectivement.
Danny Boyle et Asif Kapadia ont tous les deux été oscarisés depuis leur prix au Festival de Dinard. Ça vous fait plaisir ?
Danny Boyle et Asif Kapadia sont tous les deux nés à Dinard, c’est évident. L’un comme l’autre, ils sont venus présenter ici leur premier film et sont repartis avec le Hitchcock d’Or. Ils n’auraient pas eu leurs magnifiques carrières sans le Festival du Film britannique. D’ailleurs, Danny Boyle nous promet depuis 1994 qu’il reviendra dès que possible. On attend toujours… (Rires)
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