Le CSA doit mettre fin à son ingérence dans les contenus journalistiques

A l’heure où le gouvernement envisage d’élargir le champ de compétences du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), Reporters sans frontières s’inquiète de la tendance de l’organe de régulation à s’immiscer dans le traitement de l’information. Cette ingérence éditoriale, déjà notable sous la présidence de Michel Boyon, se poursuit sous celle d’Olivier Schrameck. « Garant de la liberté de l’information selon la loi, le CSA ne saurait contrôler les contenus journalistiques pour des motifs à la pertinence d’ailleurs contestable », observe Christophe Deloire, secrétaire général de RSF.

Le Conseil n’a pas jugé utile de dénoncer les entraves à la liberté de la presse patentes lors de l’intervention française au Mali. Il adressait en revanche une mise en garde à France Télévisions après la diffusion d’images de cadavres jugées « difficilement soutenables » dans Envoyé spécial. L’enquête dévoilait des suspicions d’exactions de l’armée malienne. Un autre reportage dont les images contestaient la version officielle de la guerre a failli faire l’objet d’une mise en garde. Sous couvert de l’anonymat, nombre de responsables de chaînes s’étonnent du déroulement de la « consultation sur le traitement télévisuel des conflits », dont le CSA devrait publier les conclusions dans quelques semaines. Dans les rédactions et jusque dans les sociétés de production, les intrusions du Conseil dans le traitement journalistique, patentes lors des auditions, suscitent une inquiétude croissante.

Le 9 avril, le CSA déplorait le caractère supposé « complaisant » de l’interview de Dodo la Saumure dans Ce soir (ou jamais !). Le Conseil voudrait-il indiquer quelles questions méritent d’être posées dans l’un des espaces de débat les plus libres et les plus pluralistes à la télévision ? Le 23 mai, le CSA estimait que la manière dont avaient été interrogées la mère et la sœur de Mohamed Merah sur France 3 « pouvait être perçue comme donnant d’elles une image exagérément positive ». Les conseillers peuvent-ils préciser quels qualificatifs les journalistes auraient dû employer ? Le 11 janvier, D8 était mise en garde pour un reportage sur « les caïds des cités ». Selon l’organe de régulation, « la présentation explicite des modes opératoires retenus par les malfaiteurs était susceptible de constituer une atteinte à l’ordre public », voire d’inciter à des comportements délinquants. Les journalistes devront-ils se contenter de rapporter les comportements des honnêtes gens ?

« Le CSA est dans son rôle lorsqu’il rappelle la nécessité de respecter le pluralisme politique sur les ondes. Mais ses commentaires sur les choix éditoriaux de telle chaîne ou l’attitude de tel animateur sont déplacés. Des objectifs aussi louables que la protection de l’enfance, la promotion de la diversité et l’égalité entre hommes et femmes, ne sauraient justifier qu’il intervienne dans les contenus audiovisuels. Une application tatillonne des conventions et cahiers des charges, imposés par l’Etat aux médias audiovisuels, est lourde de menaces pour la liberté de l’information. Une attitude souple doit prévaloir, qui mette au premier plan le droit à l’information du public et l’autorégulation », déclare Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières.

« Depuis le début de l’année, le CSA a tranché une majorité de contentieux dans un sens favorable aux médias. Mais RSF partage l’inquiétude croissante quant à une dérive interventionniste aussi inutile que dangereuse. Au nom des bons principes auxquels il est chargé de veiller, l’organe de régulation ne doit pas oublier que la loi le définit d’abord comme le ‘garant de l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle’. A l’approche de sa réforme annoncée, la réflexion ne doit pas faire l’impasse sur le nécessaire rééquilibrage entre posture de contrôle et protection des libertés ».

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme rappelle explicitement qu’« il n’appartient pas aux juridictions nationales de se substituer à la presse pour dire quelle technique particulière de compte-rendu les journalistes doivent adopter pour faire passer l’information, l’article 10 protégeant, outre la substance des idées et informations exprimées, leur mode d’expression ». Cette remarque s’applique d’autant plus aux autorités administratives indépendantes.

Image : Thomas Samoson / AFP