"La censure est la norme" dans les territoires du Nord-Kivu sous contrôle du M23

Depuis le 20 mai 2013, les combats entre les rebelles du M23 et les forces régulières congolaises ont repris et se sont intensifiés à proximité de la ville de Goma, capitale du Nord-Kivu (est de la République démocratique du Congo). Outre d’avoir causé de nouvelles victimes civiles, cette situation et le comportement des éléments du M23 placent en situation de grand danger de nombreux journalistes et fragilisent la circulation d’une information indépendante et plurielle.

Reporters sans frontières a conduit une série d’entretiens avec des journalistes du Nord-Kivu. Elle s’est également entretenue par téléphone avec deux responsables du M23, Bertrand Bisimwa, chef politique, et René Abandi, chargé des relations extérieures du mouvement.

“Nous déplorons les pertes civiles et les dégâts causés par la reprise des hostilités et sommes particulièrement inquiets pour les acteurs de l’information, lesquels sont empêchés d’exercer librement. Le paysage médiatique dans les territoires sous contrôle du M23 est marqué par les menaces, la censure, le contrôle des lignes éditoriales, la prise en otages de médias et parfois les enlèvements de journalistes”, a déclaré Reporters sans frontières, qui estime que le journalisme est menacé de mort dans cette région de la République démocratique du Congo.

Après les premières violations imputables au M23 et observées contre les médias en 2012, RSF avait demandé aux responsables du mouvement de garantir aux journalistes le droit d’exercer leur profession à l’abri des menaces. A l’époque, ces derniers s’étaient engagés à garantir la liberté de la presse. Au téléphone, l’organisation a réitéré cette demande auprès de Bertrand Bisimwa et René Abandi.

Selon un rédacteur en chef interrogé par Reporters sans frontières, “les agents de renseignement du M23 débarquent chaque soir dans la rédaction et lisent tous les papiers d’information. Ce sont eux qui décident quelles informations nous pouvons diffuser et quelles autres nous devons taire. Vous n’avez aucun droit de refuser, au risque de vous faire tuer”.

René Abandi, chargé des relations extérieures du M23, s’en défend. “C’est un mensonge grossier, nous sommes victimes de faux témoignages. Le gouvernement de ce pays est très fort pour orchestrer des campagnes contre nous. Notre mouvement est dirigé par un ancien journaliste, porte-parole et attaché de presse (Bertrand Bisimwa). Je peux vous garantir que nous voulons des médias libres, nous voulons que ceux qui nous critiquent puissent s’exprimer”, a-t-il confié à Reporters sans frontières.

Selon un journaliste de radio qui a trouvé refuge à Kinshasa après avoir été menacé dans le Nord-Kivu, une autorité locale et zélée lui a dit publiquement : “Vous pensez que brûler votre petite radio peut nous coûter quelque chose ? On verra si le gouvernement de Kabila que vous croyez défendre viendra à votre secours”.

Plusieurs radios, comme Azur Radio TV et Radio Colombe à Kiwanja par exemple, ont simplement fermé ou annulé la diffusion de certaines informations. Elles sont, de fait, contraintes de mettre leurs journalistes au chômage technique. Dans des zones où ces stations sont souvent la seule source d’information pour les populations, l’accès à l’information est donc réduit à peau de chagrin. Seule Radio Okapi, basée à Kinshasa, peut encore opérer correctement.

L’intimidation des médias par le M23 à des fins de propagande a entraîné une dégradation inquiétante de la situation des stations, chaines ou journaux indépendants au Nord-Kivu. Plusieurs cas flagrants de violations de la liberté de la presse ont déjà été dénoncés par Reporters sans frontières depuis la montée en puissance de ce mouvement.

Pour échapper à la pression des rebelles, ils sont près d’une dizaine de journalistes au moins, peut-être beaucoup plus, à avoir fui leur rédaction et la région dans laquelle ils exerçaient. Reporters sans frontières est particulièrement inquiète devant ce phénomène d’exil interne. Certains journalistes sont forcés de trouver refuge à Goma, voire dans d’autres régions du pays, y compris à Kinshasa. Ceux qui sont restés vivent dans la peur de recevoir la visite d’éléments du M23.

Non seulement ces journalistes ont perdu leur emploi et vivent loin de leurs familles, mais aussi et surtout ils sont espionnés, gardés à l’œil par les services de renseignements de l’Etat congolais. Dans leur exil forcé, ils sont accusés d’être complices du M23 et sont donc obligés de se cacher. Le cas du journaliste de la radio Sauti ya Rutchuru, emprisonné à Goma et soutenu par Reporters sans frontières, illustre la situation difficile de ces journalistes.